Shanghai, ville lunaire

Aujourd’hui c’est le Nouvel An Chinois.

Il y a exactement un an, je quittais une Shanghai fantomatique, hantée seulement par quelques silhouettes lointaines et pressées. D’ailleurs, j’étais moi aussi pressée, de partir, et de rejoindre la France pour une semaine de vacances, cette histoire de virus – surtout la peur qui lui colle à la peau – avait surgie sur le territoire quelques semaines avant (on le saurait plus tard) et commençait à avoir son petit effet anxiogène.

Un an plus tard, je me suis de nouveau retrouvée à déambuler sur le Bund, cette ballade mythique et bien connue de tou.t.e.s, le rendez-vous du dimanche. De là, tu peux admirer, d’un côté de l’avenue, une architecture historique et de l’autre côté, derrière le fleuve, embrasser une vision futuriste. Une oscillation étonnante (ça marche à chaque fois) … Hop, d’un coup de tête tu dégommes les siècles. J’étais seule, avec deux trois badauds (d’habitude, on ajoute aisément deux zéros par mètre carré aux dits badauds).

Ces images auraient pu être prises en février 2020. Mais non, elles datent d’hier. Oui, c’est le désert. Mais entre ces deux moments pris aux extrémités, il s’en est passé, des « choses ». La Chine, surtout Shanghai, n’est pas connue pour son éloge de la lenteur. Donc, autant il suffit de détourner son regard pour passer du 19e au 22e siècle, autant d’un claquement de doigts, les situations se retournent. En quelques secondes, les gens, les attitudes, les mouvements s’inversent. Des montagnes russes, entre frénésie et immobilité. C’est fou. Ça aussi, ça me surprendra toujours.

Deux jours avant, sur l’avenue derrière le Bund, l’ambiance était ainsi plutôt guillerette. 

Depuis plusieurs semaines – qu’écris-je… depuis des mois ! – Shanghai s’est auto-proclamée ville la plus cool du monde : on y porte (presque) plus de masques, on peut bambocher à loisir, aller au musée, chiller en terrasse et siroter un café pimpé… Car en plus il fait beau-et-bon. En gros, rien ne se passe normalement (enfin, en tenant compte, d’où on se place sur la frise chronologique, bien sûr). 

Aaron Johnson, « Five Suns for Ten Lovers », 2020
Courtesy Almine Rech

En fait, depuis le printemps dernier on a l’impression de vivre sur la face cachée de la terre, et d’en avoir carrément fait une autre planète. Le thème : « le monde d’avant en mieux » – car tu sais que tu peux perdre toutes ces joies simples appelées « les petits plaisirs de la vie ». Prendre l’air, le soleil, voir tes potes (quand tu en as plus que 6 ça fait la différence), et surtout et pour résumer, hein… faire ce que tu veux quand tu veux (la liste des « petits plaisirs de la vie » est clairement surdimensionnée, et à tendance à s’allonger depuis le début de la pandémie). La vie à Shanghai est donc plutôt sympa – un euphémisme, quand on la compare au reste du monde. Et, hormis cette vie parallèle normalo-agréable, paradoxe ultime… Shanghai n’a jamais été aussi dynamique! Score de ventes explosé lors des dernières foires d’art contemporain – les seules ayant eu lieu « en vrai » dans le monde (novembre 2020), des ouvertures en pagaille de nouveaux cafés, restaus, lieux artistiques, concepts-stores et autres dingueries … Effet kiss-cool de la fermeture des frontières ? Un besoin de maximiser toute entreprise ou toute action, la plus simple soit-elle ?

De cette étrange planète-ovni où les repères sont donc bien brouillés, et bien on aperçoit, de temps en temps, à travers un hublot, la terre et ses réalités. Car si chacun vaque, trottine ou flotte vers ses mondanités, quelques piqûres de rappel sont tout de même administrées, lorsqu’un nouveau cas est déclaré dans la ville, et donnant lieu à chaque fois à des épisodes psychotiques.

Ça, c’était le 21 janvier dernier. Quatre cas déclarés dans deux hôpitaux du même quartier = ledit quartier bouclé et ceinturé de gardes et d’hommes en blanc, en dix minutes top chrono (hé non, il n’y a pas eu d‘intervention télévisée au préalable pour informer la population). Ce qui s’appelle prendre le taureau par les cornes. Bien sûr, depuis, la loi de la gravité a de nouveau frappé Shanghai : portiques de contrôle à chaque entrée de lieu public, QR codes de toutes sortes à afficher en permanence, prises de température à tous les coins de rues, déclarations sur l’honneur à n’en plus finir (à force de jurer dessus, je me demande ce qu’il reste, d’ailleurs, de mon honneur)… L’effet immédiat ? Un re-confinement volontaire temporaire des Shanghaïens… Lunaire non ? L’effet à moyen terme, encore plus de prouesses psycho-technologiques (je sais si mon livreur à de la fièvre ou non, par exemple). 

Effet à long terme : continuer à vaquer, trottiner ou flotter, comme si de rien n’était, car c’est devenu une chance. Pratiquer la politique de l’autruche en quelque sorte, pour préserver sa santé mentale, mais en rappelant tout de même qu’elle est en cage, l’autruche, aussi dorés que soient les barreaux. 

Aujourd’hui c’est l’année du Buffle qui commence. Enfin, de la vache, du bœuf et du Yak, aussi, la traduction n’est pas claire.

Alors… New year, new life… ?  Selon Le Vent de la Chine « Après une année du Rat mouvementée, le Buffle apporte un message d’espoir, l’année devant être propice à la reprise, à la croissance et au développement. Cependant, elle pourrait être caractérisée par un certain attachement à la tradition, voire par un retour au conservatisme. Gare aux risques de conflits (accrus par la rigidité de l’élément Métal), qui pourraient avoir des résultats désastreux s’ils ne sont pas traités avec sang-froid. »

Bon. Let’s see.

Pourvu que le Buffle bluffe…. En tous cas, que la force du Niú牛 soit avec vous !

Auteur : Caroline Boudehen

Journalist, writer & reporter (Asia)

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