Si l’été est synonyme de vibration – celle des corps et des esprits – et de tout le champ lexical de l’ondulation – des airs et des êtres – il est aussi une grande histoire. Chaque année différente et pourtant toujours faite de la même canicule ou de la même pluie – les deux sceptres divins qui ont droit de vie ou de mort sur elle – et qu’on aime inlassablement raconter aux autres, quand on a décidé que c’était la fin, de l’été, de l’histoire, de l’histoire de son été.
L’ Autre, pendant que l’on discoure, que l’on dissèque à n’en plus finir les détails de l’histoire de notre été historique, se demande aussi, quand est-ce que ça se termine, cette putain d’histoire, qui leur gâche tout le plaisir de finir tranquillement la leur. En général, je suis l’Autre. Mais cette année, pour une fois, j’ai décidé d’être de l’autre côté alors que la rentrée vient doucement frôler ma carapace. Cette fois, c’est moi qui raconte.

Camping à Roissy
Il était une fois les vibrations de l’histoire de mon été. Tout cela a commencé par le vrombissement des ailes d’un Shanghai-Istanbul, avec une escale d’une nuit à Paris. Enfin, pas exactement à Paris… mais à Roissy. Deux endroits assez proches géographiquement, mais plutôt éloignés dans de nombreux domaines.
Passer une nuit à l’aéroport se résume à une aventure en terre inconnue pour moi, bobodebase, celle de la banlieue-qui-n’en-n’est-pas-vraiment-une, et inversement. Un territoire d’outre-province. Un no man’s land peuplé de nomades : y entendre les clients de l’hôtel « Nomad », je cite ici la blagounette du conducteur de la navette aéroport-hôtel, qui, apparemment, est bien content de l’avoir trouvée celle-ci et doit être capable de la traduire en plusieurs langues. Je suis donc arrivée avec un sourire mi-perplexe, mi-navré, dans mon hôtel Nomad. Un lieu entre deux eaux, pourvu d’une touche vaguement exotique, elle-même calée entre le parking et 4 mètres carré de gazon déjà condamné par la canicule naissante – celle- là même qui ne tardera pas à se faire appeler par les Parisiens « la canicule du siècle » ou « L’été de l’Enfer ». Mais à ce moment de l’histoire, nous en sommes au purgatoire.
Me voilà donc réfugiée sur mon îlot d’herbe cramée, après avoir cru mourir deux ou trois fois – la vibration de l’avion, un peu trop vibrante à mon goût, pendant environ 8h (sur 10h de vol) et due, m’a dit un steward, « au changement climatique« . Très bien, alors si pour certains le réchauffement de la planète n’était pas assez concret, prenez l’avion. Quoi qu’il en soit, j’étais rassurée de toucher le sol français, et d’éventuellement pouvoir y mourir, mais plus tard. En attendant, le purgatoire, je ne savais pas que j’y étais, et seule la devise « Sous le soleil, c’est l’été » comptait.
Alors effectivement, c’était l’été, le premier jour, même, de l’été, m’a-t-on nomadement martelé à la réception. « Et qu’est ce qui se passe le 21 juin ? » m’a-demandé surexcitée la réceptionniste. Je n’ai pas eu le temps de savoir si c’était vraiment une question que ses deux mains s’agitaient joyeusement en l’air, tout en m’expliquant le programme de la fête à Jack au Nomad. Summer vibes, en veux-tu, en voilà. Nomad n’allait pas délaisser ses clients préférés et les autres en ce jour sacro-saint, et avait soigneusement organisé une petite sauterie sur le parking – pour la danse – et sur la terre brûlée – pour le buffet à volonté. Derrière la réceptionniste sautillante, je découvrais aussi un conglomérat de mecs vissés à leurs bières et à l’écran suspendu du bar de l’hôtel. Les sédentaires du Nomad. Ah bah ça aussi j’avais zappé. La coupe du monde de foot. Deux résolutions furent prisent ce soir là : échapper à ces deux générateurs de vibrations universelles – la musique et le foot – ces deux ventilos à deux balles.
Ainsi, du haut de ma fenêtre, qui avait vue sur le parking – j’avais apparemment été surclassée – j’ai regardé de haut et de loin la Macarena interprétée par les nomades professionnels – l’équipe de l’hôtel – qui avait plutôt l’aspect d’une performance d’art contemporain improvisée que d’une danse de groupe chorégraphiée – et quelques nomades lambdas s’empiffrer de Curly et descendre avec avidité (la peur de manquer?) des gobelets de mousseux gratos. J’ai reconnu mes deux copines de navette, France et Marie-France, qui, pendant tout le trajet jusqu’à l’hôtel avaient geint sur le sort de la France, à savoir : les grèves SNCF « Ben oui qui qui paye hein?!« , les UBER – remarques confuses mais plutôt acides, et les impôts – une valeur sure et atemporelle. C’est pourquoi ces deux inséparables avaient décidé de partir en vacances « Au Québec, parce qu’au moins là-bas, ils parlent français« . Je n’ai pas bien saisi les liens de cause à effet du raisonnement, le conducteur s’est mis à chercher une ligne d’horizon vague et lointaine. J’espère que le buffet à volonté gratuit les a réconciliées avec la France.
Plongée à Istanbul
Les ailes d’acier vers le Bosphore ont à peine vibrer, mais moi, j’ai frissonné. Cinq jours à se mélanger avec l’inconnu, et surtout avec soi-même. Des ondes et des bandes passantes qui m’ont captée et captivée. Bref, j’ai dansé à Istanbul, et surtout je me suis baignée. Istanbul m’a fait penser à la surface d’une piscine qui ondoie. Eblouie, on perd ses repères, on se laisse appelée à la rêverie.
Connexions frémissantes entre mes milliers de pores, un fil qui les a toutes reliées entre-elles, comme une ample toile d’araignée, pour capturer tous ce qui passe et se passe dans l’air… Alors que je quittais Shanghai et son Columbia Circle, un temple d’été à la chinoise, entre piscine en mosaïque extérieure, sorte de termes romains, flamands roses et ambiance disco pourvue de ses cocktails fleuri, je me suis retrouvée, non pas entre deux mojitos à la rose mais entre deux portes, celle de l’Orient et celle de l’Occident, à plonger à tue-tête, dans cet entre deux. Danser pieds nus dans la rue, se faire vêtir d’une épaisse couverture de savon blanc au hammam, magie de l’éphémère… Surréalisme et 1001 nuits. En papillotant des paupières le long du Bosphore, j’ai vu un dauphin. Comme une évidence.
Sakura à Paris
Alors sans me poser de question, j’ai suivi le flow de l’été, vers un peu de Normandie, puis un brin d’embrun breton, pour rester un peu plus à Paris. Parce que les vibes ne sont pas vraiment complètes sans les amis. Les lieux ont été les nuits où nous nous sommes toutes et tous retrouvé(e)s, où nous nous sommes déhanché(e)s sans se perdre des yeux, parce qu’à chaque fois, ça fait trop longtemps et que les moments, comme des minis-étés, sont toujours trop courts. Alors on prend tout ce qu’on a à prendre, jusqu’au petit matin, jusqu’à la dernière goutte. Et, comme le dauphin stambouliote un après-midi sans prévenir, c’est comme si la nuit parisienne et son esprit avaient compris ce qui se passait, et tout d’un coup, ce fût Sakura au moment des au revoir. Des milliers de je-ne-sais-quoi virevoltant sur l’avenue de Belleville, et qui avaient finit par la recouvrir. Une coulée verte. C’était beau, c’était Paris, le temps des amis.
La shame vibe de l’été
Alors l’été, parfois il fait bon se couper du monde à un moment, se reconnecter « avec soi » (combien d’auteurs ont fait fortune avec ce titre?), ou avec la nature (faire des câlins aux arbres tout ça). Mais cette année, c’est la coupe du monde qui m’a rattrapée. Et le monde aussi, surtout celui de la coupe. Enfin bref… Je déteste le foot. Non, je ne pense pas que ce « sport » transporte quelques valeurs qui soient – hormis celle du pognon et du nationalisme – non je ne me réjouis pas que les gens soient capables de se retrouver pour un tel événement – parce que ça signifie qu’ils en sont capables, de se mobiliser, mais pas pour tout, et surtout pas pour les causes moins fun… Vous l’avez compris je suis, à la base, une énervée du contre-foot. Alors qu’est ce qui s’est passé cet été ? Au lieu de me retrouver sur le bord d’une route déserte, à des milliers de kilomètres à la ronde d’une quelconque retransmission de la finale, agrippée à un peuplier en lui criant mon amour et mon désespoir en ce 15 juillet 2018… Je me suis faite emportée par la foule, qui s’élance, et qui danse, une folle farandole…etc. Enfin bref, j’ai fait l’anti-moi. C’est à ça que ça sert aussi l’été, puisque c’est une histoire, autant devenir ses propres personnages, et vivre des expériences hors du commun (qu’est ce qui faut pas dire pour se justifier d’avoir fait la beauf pour la finale de la coupe hein).
Le vent dans le dos
A coup de pédalier le long du fleuve, sentir la visière de sa casquette vrombir dans les descentes, avoir l’impression d’être en apesanteur dans des paysages lunaires, puis soudain sentir frémir les feuilles et les écailles des immenses peupliers – ceux-là mêmes qui auraient dû me couper du monde quelques jours plus tôt – qui la bordent. La Loire.
D’une folle nuit nantaise, à une éclipse de lune près d’Angers, 120km avalés entre verdure, sable et villages de pierre, entre filles, en duo. Le vélo, c’est la liberté. Debout sur ses pédales on pourrait presque crier « Je suis la reine du monde » (on l’a peut-être d’ailleurs fait). La sensation de vitesse, même dans la canicule du siècle, te dégote une sensation de frais depuis la glisse, qui se faufile sous ton t-shirt trempé de sueur, le long de l’échine. Que c’est bon. L’envie et la curiosité de découvrir ce qui va surgir au prochain virage, quel paysage t’attend plus loin… La Loire c’est l’aventure.
Et d’aller du point A au point B, c’est satisfaisant. Et quand c’est à vélo – comprendre, avec prouesse sportive d’exception – c’est carrément gratifiant. Finalement, la Loire à vélo ç’aura été mon transsibérien à moi, puisque j’ai parcouru une région du monde que je ne connaissais pas, avec la même hâte de regarder par la fenêtre ce qui s’y profilait. De la douceur nocturne des tanins des vins d’Anjou à celle du café matinal mêlé à l’étrange consistance de la confiture de rhubarbe, les fragrances de la région nous ont raccompagnées jusqu’à Paris, où une fois n’est pas coutume, nous avons échappé à la tuile de l’été, celle qui guette ou s’abat sur les vacanciers : la panne générale à Montparnasse. C’est nous qui avions les sceptres. Nous, on avait choisi Austerlitz, gare qui a toujours été synonyme de bons souvenirs, malgré la glauquitude de l’endroit.
Sprint final à la mer
Avant la retraite sous les pommiers de Normandie et sous l’égide du cocon parental, un dernier saut de biches à Bordeaux, pour les copines, le vin blanc et les huitres puis Palavas-les-flots, à peu près pour les mêmes raisons. Et les nuits interminables, puisqu’il faut bien que quelqu’un se charge de refaire le monde. Pendant tous ce mois de juillet, je suis restée dans le même bain bouillonnant à 35 degrés moyenne basse, avec quelques pointes, ascenseurs émotionnels obligent. Chaque jour, jusqu’au bout du bout du dernier rayon, de la dernière onde de lumière, puis de la dernière vague de son, pour pouvoir toucher du bout du doigt la première. Shanghai est bien loin.
La retraite en Normandie, donc
Et oui, cette histoire de roman, mon vaudeville sur Shanghai, il fallait bien s’y remettre aussi. Le remettre sur les rails. Puisqu’il était resté sur le bas côté toute l’année. J’ai donc ressorti les notes en bataille et le scénario (à peu près) bien huilé, et je n’ai vu de ces trois dernières semaines en France seulement les mots s’aligner les uns derrière les autres, séance de musculation pour les doigts, qui, à part laisser glisser le sable entre eux, serrer des épaules et des verres, n’avaient pas fait grand chose… Quelques dizaines de pages et puis s’en vont, j’ai empaqueté tout mon bazar pour reprendre le chemin vers la Chine, bien décidée à le finir, cette fois-ci.
Et à finir cette histoire d’été aussi… qui bien sûr, s’achève dans un profond jet-lag… et une canicule un peu plus moite qu’en Normandie-ça-s’est-sur. Le ciel est bleu, les nuages sont cotonneux et blanc, comme moi, et l’air à peu près pur. Parfait pour se dissoudre.
Je me demande si au Columbia Circle ils servent toujours des cocktails avec des fleurs dans les termes romain, voilà qui pourrait amortir tranquillement le retour, touiller toutes ces vibrations et les siroter, tout en repensant à cet été. La boucle serait bouclée.
Bonne rentrée !