La rentrée, les français et le point de croix

Après avoir passé son été a se plaindre de la canicule en France, mais néanmoins heureux d’avoir échappé à celle en Chine – oui parce qu’on ne parle pas exactement des mêmes températures pour définir le concept de canicule d’un continent à l’autre- le Français Expatrié (on va l’appeler J-C pour l’humaniser un peu) revient serein pour se confronter de nouveau aux mystères problèmes chinois. Serein pour plusieurs raisons. D’une il a pu raconter ses péripéties de l’année de vive voix à l’ensemble de sa famille, amis, ex-voisins-devenus-amis, ex-collègues-devenus-ou-ou-pas-amis-mais-cest-toujours-cool-de-pouvoir-raconter-sa-life. Oui de vive voix, sans les coupures intempestives dues à la qualité made in china de la connexion internet. De deux, il a mangé du fromage. Du vrai. En expliquant bien à son auditoire envoûté par sa logorrhée, que ça n’a pas de prix, de manger du fromage, du vrai. Avec du pain, du vrai. Et du vin, du vrai. C’est le moment du repas où d’ailleurs J-C ne parle plus, il donne un récital. A croire qu’en Chine, on ne se nourrit que de raviolis (« Mais des vrais hahaha! », ajoutera J-C. Ses amis diront -tout bas- qu' »il a quand même changé, J-C, depuis qu’il est en Chine). De trois, il a pris le soleil (et oui, la « canicule » normande ou bretonne n’a pas que des mauvais côtés). Dopé à la vitamine D – reconnue pour ses vertus anti-dépressives, sculpté au Brie et au rosé, l’Expat’ français revient donc ragaillardi (l’expression frais comme un gardon serait peut-être un peu exagérée).

Mais s’il est si heureux de reprendre le chemin de la lutte quotidienne – la rentrée quoi – malgré la semaine de jetlag qui l’attend à son retour – et qui bien sûr vient ruiner direct son été de remise en forme- c’est qu’il va retrouver ses amis Expat’ français. Et oui. L’une des nombreuses contradictions qui fait le charme du Français. Cet être relou ambivalent. On le sait, un français à l’étranger cherche à éviter les autres français, mais en même temps il kiffe se retrouver avec ses congénères. Dire que la principale raison de cet élan patriotique serait pour critiquer le reste du monde est un peu exagérée, mais il y a de ça. Enfin, c’est surtout pour pouvoir donner son avis de français sur ce qui n’est pas français, parce qu’il adore avoir un avis sur tout, et qu’il n’y a rien de plus jouissif que de le faire avec d’autres français. Car l’Expat’français est plus qu’un français. C’est un cliché concept. Partout dans le monde, parler bouffe en mangeant est communément admis comme une activité française à part entière. Parler de bouffe-bien-de-chez-nous en Chine avec d’autres français, c’est finalement le cliché du cliché, sorte de paroxysme du cliché. Le mythe s’incarne quoi. Tout le monde est persuadé que, puisque vous êtes français, vous êtes désespérément et perpétuellement en quête de baguette et de fromage. Et on – les autres français- vous abreuve « de bons plans » produits du terroir (avec cependant une réserve : « On est bien d’accord, la qualité est quand même différente »). Bref, J-C est comme un poisson dans l’eau avec ses compatriotes expat’. D’où l’événement photographié ci-dessus. Oui, évidemment, j’y étais. Le Grand Accueil. La grande Messe (oui ça pourrait aussi s’appeler comme ça. Ou « apérodéjeunatoiregéant aussi. Ou kermesse). Le Rassemblement (que tu ne dois pas raté si tu ne veux pas être ex-communié) se déroule dans la résidence du Consul de France, une fois par an, à la rentrée et accueille, donc, tous les Expat’ français de Shanghai (tous les J-C quoi). Tu arrives (10h30), on te colle une coupe de champ’ dans la main : tu retrouves ton sourire perdu  le temps du trajet pour y arriver et tes amis camarades de classes, que n’avais pas vu l’été durant. J-C a donc 3h devant lui pour boire, manger, papoter, dans un lieu qui claque. Autant dire qu’il se sent comme à la maison. En regardant mieux la photo, on s’aperçoit finalement, que comme les chinois, et bien les bretons sont aussi partout. Hé oui, toujours ce drapeau un rien chauvin étendu là où l’on ne s’y attend pas. Avoir un Shanghai Accueil (ex- Cercle francophone, je tiens à le préciser. Il semblerait que l’appellation « cercle » passait de moins en moins bien ) pour les français, c’est rassurant mais savoir  que les Bretons ont eux aussi leur propre asso, c’est flippant. Drapeau, galettes et bignous, ils arrivent à se fondre dans le décor, même le plus exotique. Chinois et bretons, même combat. Envahir le monde.

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Avec le logo qui va bien. Un peu plus et ils mettraient le Mont Saint-Michel à la place des bigoudènes

Il faut se le dire, quand on arrive en Chine, et que chaque lieu ressemble à la ligne 13 aux heures de pointe, on se dit que ce serait bien de trouver des gens à qui en parler. Lier des connaissances pour se sentir moins seul dans cette jungle. Trouver des alliés quoi. A défaut, trouver des repères, pas forcément des gens hein… Juste des livres en français par exemple. Quand j’ai découvert la librairie francophone, ça m’a fait le même effet que lorsque j’ai vu l’enseigne Carrefour apparaître au coin d’une rue.

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Au bout du tunnel, il y a toujours une lumière

Ou le cinéma. Parce que je suis une grande fan (et qui comme toute bobo parisienne qui se respecte, était adepte du MK2 Beaubourg). Alors, refusant le ciné-club « Art et essai » organisé chaque soir par Grand Arbre à l’appart – attention il a des goûts pointus, mais dans d’autres catégories de films, j’ai commencé mes recherches ma lutte. J’ai d’abord taper sur google (qui en Chine n’est pas vraiment ton meilleur ami) « shanghai cinéma film français » puis « shanghai film français » puis j’ai revu mes exigences à la baisse devant le nombre de résultats (quasi 0, sauf si on prend en compte un vague lien datant de 2004) et me suis finalement contentée de taper « shanghai français », tout en m’auto-convaincant qu’il y a plein d’autres choses à faire qu’aller au ciné – j’étais super vénère mais je me suis dit que c’était encore un obstacle a surmonter que Dieu Tchang m’envoyait. Bref, lorsque le VPN a donc décidé d’arrêter de ramer et que j’ai entrevu la possibilité de dépasser la page google (c’est à dire que ton clic a fonctionné, une fois au moins. Ici, c’est ça qu’on appelle surfer sur internet, ndlr), tu es donc au bord de l’orgasme lorsque tu vois les mots « Alliance Française » illuminer ton écran. Je trouve que cette organisation porte vraiment bien son nom. Tu cliques, tu cliques et tu cliques sans relâche (pas sur beaucoup de propositions, juste sur le fameux lien pour accéder au site de l’Alliance Française en fait), jusqu’à découvrir THE pépite : le fameux Shanghai Accueil (Feu le Cercle francophone). Qui propose moultes activités FRANCOPHONES. C’est à ce moment là que ta vie va basculer : tu vas t’inscrire à beaucoup de choses improbables. Des conférences dont le sujet t’es complètement égal (d’obscurs experts qui viennent débattre d’obscurs sujets « Pêche de la morue en Mer du Nord dans la deuxième partie du 17è siècle : impact et enjeux ». Je déconne, pas à ce point quand même…), des sorties dont tu ne comprends pas le thème mais-tanpis-allons-y-on-va-bien-voir (« Flânerie dans la Suzhou Creek ») , et des activités de toutes sortes (apprendre à faire des nœuds chinois ça me tentait beaucoup mais je me suis dit qu’à un moment, il fallait être raisonnable, et rester un peu concentrée). Alors je me suis inscrite à la visite guidée EN FRANÇAIS d’un musée, avec une experte française, spécialisée en céramique. Visite du département céramique dudit musée, donc. Quels extraits :

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Chien antique
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Un canard
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Le bélier qui rêvait d’être une licorne
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Petit Chinois appliquant la stratégie du Breton : l’incruste

J’ai un peu mis le holà après tout ça, aussi passionnant que ce fusse. Je me suis concentrée sur une seule activité offerte par Shanghai Accueil, en restant dans mon domaine : écrire pour le magazine francophone et m’occuper de la rubrique art et culture . Ce qui me fait bourlinguer, d’interview en interview  – encore plus- dans le Shanghai français. Et ce qui me fait dire que oui les bretons sont partout, mais qu’il y a quand même beaucoup de français. Beaucoup, genre beaucoup beaucoup. Genre surtout dans la résidence où j’habite. Au début on ne s’en rend pas trop compte, et puis on découvre deux choses : les rassemblement franco-français de La Parisienne et les groupes de français sur WeChat.

La Parisienne : haut lieu de la gastronomie française. En fait c’est une boulangerie qui fait des baguettes. Je rectifie, c’est une boulangerie-pâtisserie dont les baguettes sont faites par un français -gage de savoir faire ultime lorsque l’on parle baguette. En plus, elle propose du fromage, du vrai et du vin, du vrai. L’Eglise du quartier quoi. Autant dire que tous les week-ends, tout Expat’francais qui se respecte va au moins petit déjeuner, bruncher, ou apéroter une fois. Ou passe prendre sa baguette et son éclair au chocolat pour le déjeuner dominical. Quelques petits drames en fin de journée le dimanche tout de même devant le succès de l’entreprise, c’est quand il n’y a plus de baguette. J-C qui était venu exprès avec ses amis en visite de France leur montrer que oui, même a Shanghai on a la chance d’avoir des baguettes :

« – les baguettes, de pain hein, pas les baguettes chinoises hahaha! »

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Oui, il a bien changé J-C, c’est clair.

Mais devant les bannettes vides, J-C se retrouve désappointé:
« Mei you baguette? » s’exclame-t-il devant le caissier chinois, entouré de ses convives, bluffés devant l’aplomb de J-C (J-C parle chinois!). Le caissier chinois émet un vague « -…Sorry ».  Sur ce J-C ne lâche pas l’affaire : »Oh.. Mei you baguette? Mei you baguette at all? » J-C traduit donc la conversation à la petite troupe : « Ils n’ont plus de baguette ».  « Ha, la rançon du succès que voulez-vous ». Débat, blagounettes de J-C.. Bref, ou va-t-on trouver du pain?

Les groupes WeChat, c’est tout un univers. J’avais déjà parlé du Wechat (sorte de WhatsApp amélioré) et des prises de contacts, et bien les groupes c’est la résultante. On te scannes (oui, ici tu as un QR code, c’est moderne), on te « add », mais ça ne s’arrête pas là. On t’inclue dans des groupes. Tu habites dans tel quartier, tu feras partie du groupe WeChat de ton quartier, tu joues au tennis, tu feras partie des 15 groupes (tennis du dimanche, tennis en semaine, tennis dans telle résidence, tennis entre français (ben oui!), tennis entre Bretons), tu as des enfants ET tu es français, tu feras partie du groupe spécial « les mamans de Pudong ». Bref, j’ai donc la chance de faire partie des « Français du Yanlord » (nom de la résidence) et des  » Zapéros à la Parizienne » (oui, l’Eglise où J-C fait ses sketchs, parizienne avec un z pour montrer que le Français peut être cool, avoir le djeuns’spirit et de l’humour. Oui…). Et toute la semaine, ça échange dur entre Français. Et ça organise des apéros, bien sûr. Une fois par mois, c’est donc.. à la Parisienne (on notera donc tout l’intérêt d’habiter à Shanghai, d’avoir des rooftops de dingues et des vues incroyables, des bâtiments à l’architecture magnifique et j’en passe. Mais non, on préfère aller s’enfermer dans un 30m² en rez-de-chaussée, avec vue sur route, c’est mieux. Bref, en plus de se laisser convaincre par les attraits du lieu, on se dit que définitivement, on va y aller parce que les français ont quand même un humour sacrément décalé, et qu’en plus de boire et manger des trucs vrais, on va se taper des barres de rire  toute la soirée:

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Même ultra en forme, je n’aurais pas pensé à la faire celle-là #jealous

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Personne n’a répondu à ce pauvre Arno et à ses amis portugais. A-t-il tenté de faire une blague? Etait-il sérieux? Est-il toujours admis dans le groupe?

On aura bien situé la nuance entre français et francophone du même coup.

Quoiqu’il en soit, dans le quartier, lorsque tu rencontres un occidental (quelqu’un qui n’est pas chinois donc), tu essaies de deviner s’il est français, parce que tu as compris qu’ils étaient finalement nombreux. En gros à l’épicerie du coin, ça peut donner ce genre de trucs à la caisse : après quelques coups d’œils qui se veulent discrets, tu as repéré un journal en français qui dépassait nonchalamment de la poche de son propriétaire (un potentiel J-C ?), ou tu regardes le texto que la personne derrière toi envois… alors s’il est en français :

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« La première règle du Fight Club est… »

Conclusion, je ne veux plus entendre un seul Français dire que les Chinois sont partout. Les Bretons, à la rigueur…

A l’heure où j’écris ces lignes, mon WeChat a vibré, et à la une du Petit Journal de Shanghai aujourd’hui, cet article :

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Si tu n’as pas le courage de lire ou de VPN pour cliquer, voici le résumé en images:

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La bouffe
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Le foot
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La tise

Tout est dit!

Paix et amour.

Bonus track, les photos de vacances :

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Burkiquoi?

 

Auteur : Caroline Boudehen

Journalist, writer & reporter (Asia)

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