Deux ans que je suis arrivée en Chine plume en main, et je n’avais toujours pas eu l’occasion de participer à une conférence de presse chinoise. J’entends par « chinoise », en chinois et organisée par des Chinois. Un manquement qui n’a rien de bien étonnant en soi – si ce n’est peut-être un manque de curiosité – et qui va de pair avec une peur irrationnelle de l’ennui… En tant que Française, et qui plus est d’appartenance à la bulle hermétique des expatriés, je ne me suis rendue qu’à des événements presse rattachés à l’ambassade et quelques diverses manifestations culturelles de la communauté (vernissages de galeries d’art, ouvertures de lieux, lancements de telle ou telle marque). Les seuls rapports que j’ai entretenus avec la nébuleuse chinoise en termes de presse et d’événements officiels ont bien été quelques openings d’expos ou de musées, où le seul souvenir que j’en ai demeure un ennui profond à écouter d’une oreille lasse des discours indigestes, mortellement longs (d’où la peur irrationnelle-mais-mais-pas-tant-que-ça de l’ennui), la plupart du temps non-traduits, et devant une assemblée de Chinois visiblement plus intéressée par ses propres discussions… et le buffet. Bref, peu ragoûtant. Alors, lorsque ma seule amie chinoise du Consulat de France à Shanghai m’a proposé de l’accompagner à une conférence de presse chinoise, en chinois, j’étais mitigée. Oui, ça sera le moyen de voir ce qu’est réellement une conférence presse en Chine – étant donné le statut des journalistes ici, et non, étant donné le statut des journalistes ici, les discours officiels et pré-formatés vont y aller bon train… et non non, je ne comprends pas le chinois je ne vais rien comprendre, 2h d’ennui assuré, avec aucune échappatoire.
J’ai dit oui.
Oui, pour la première raison invoquée, et qu’en Chine on n’est jamais au bout de ses surprises. Mon amie m’a assurée d’une, qu’elle serait mon interprète et deux qu’ »en tant que Française je ne pouvais pas rater ça » pour la reprendre. « ça » autrement, dit, la promo de « Roméo et Juliette 2018 », version comédie musicale. Effectivement. « Les acteurs seront là« , m’a-t-elle précisée toute excitée. « Et ils sont français« . J’ai sauté sur l’occasion : c’est quoi une conférence de presse en Chine ? Est-ce aussi sérieux ennuyeux qu’en France ? Comment sont traités les médias? Comment les intervenants sont-ils questionnés ? Est-il vrai que les journalistes reçoivent de l’argent de la part des organisateurs ? Est-ce que les médias étrangers reçoivent un traitement particulier ? Mon protocole : Me fondre dans la masse (enfin, autant que possible), observer et décrypter.
J’ai donc retrouvé C. le jour dit au Shanghai Culture Square, lieu où se déroulerait le fameux spectacle en 2018. La conférence de presse était prévue dans le hall, à 15h. Après une accréditation classique (me fondre a consister, entre autre, à y participer en tant que journaliste pour un média précis), la réception du kit média (très kitsch et d’un goût un peu douteux), nous sommes allées nous asseoir, au deuxième rang, soit celui juste derrière les intervenants, et devant le reste du public.

Au total, nous devions être une cinquantaine, le tiers n’étant pas des journalistes… mais des fans, m’a précisé C. Un ou deux rangs réservés à la presse, donc, et le reste aux fans, de quoi garantir un accueil plus que chaleureux aux intervenants… Avant que la conférence ne commence, une jeune fille est rapidement venue m’apporter une mystérieuse enveloppe…contenant l’équivalent de 40 euros (tout de même) : pas de quoi influencer un papier certes, mais de quoi être plus enclin à la réception de ladite conférence… C. m’a tout de suite expliqué que c’était pour les frais de transport. Mouais. Quand on connait le prix du taxi à Shanghai (10 fois moins cher qu’à Paris) et que le lieu se trouve en plein centre, on peut douter de l’argument.
A 15h tapantes, la conférence -enfin le terme de « cérémonie » serait peut-être plus approprié- a commencé. Après quelques discours de la production, savamment orchestrée par la Maîtresse de Cérémonie – les choses sont toujours un peu plus démesurées et grandiloquentes en Chine – les deux protagonistes, Roméo et Juliette, donc, ont fait leur entrée. Et quelle entrée. L’estrade de la conférence transformée en scène de spectacle, ils sont donc apparus après une demi-heure de discours officiels, en costumes… et en musique. Une entrée chantée, en enchaînant quelques extraits de la comédie musicale, avec bien sûr un parterre de fans aux anges et sous un tonnerre d’applaudissements.
Réglé comme du papier à musique, la conférence s’est poursuivie : les 10 minutes de questions du public ont succédé aux prouesses des deux comédiens*. Etait-ce bien vrai que Roméo portait un tatouage… en chinois ? A la réponse affirmative, émotion du public. Juliette était-elle heureuse en amour ? Quel était son idéal masculin ? Ensuite, le temps officiel, silencieux et figé (mais tant attendu) des photos est arrivé (20 minutes tout de même) : Roméo et Juliette avec l’équipe de production, puis avec les partenaires chinois, sans Roméo, puis sans Juliette, puis avec l’un ou l’autre des partenaires, etc. jusqu’à ce que toutes les combinaisons eussent été exploitées.
Pour clôturer tout ça, un gâteau à la crème avec les effigies des deux comédiens (version gâteau de mariage) a été amené sur le devant de la scène… et a relancé une session photos, soldée par un bouquet final : le gigantesque selfie avec le public.
Conclusion : relevant plus du spectacle que du point presse, la conférence de presse en Chine (en tout cas celle-ci) est organisée pour assurer une véritable promotion de l’événement. Et en Chine, on ne lésine pas sur les moyens, et on voit les choses en grand. Bref, impossible de s’ennuyer !
Une mise en scène assez spectaculaire… un succès qu’un journaliste présent ne pourra que rapporter, avec son petit « hongbao »**…
*Je tiens à préciser que la majorité des questions portant sur l’événement a été posée par la maîtresse de cérémonie au début de la conférence (dates, tournée en Chine, spectacle en lui-même, production, ressenti de l’accueil) avec mini-blagues à l’appui pour assurer un, le dynamisme de l’ensemble et deux, que les « bonnes » questions seraient posées.
**don d’argent traditionnel chinois dans une enveloppe rouge. Le « hongbao » est sensé porter bonheur