Lac Wakatipu, 5 janvier
Après la ville et la mer – deux entités tout autant étalées, comme si les centres n’existaient pas ici – les terres.
Et les deux îles étant assez étroites, on est finalement jamais bien loin ni de la mer, ni de la ville. Autant les villes et les villages sont chargés d’exotisme – une ambiance, une musique, un goût particulier – ils sont gonflés d’animation typique, autant les plages avec leur océan qui se rejoignent dans une ligne longue et incertaine, incarnent les grands rêves. Larges horizons qui se suffisent à eux-même.
La terre, elle, porte en elle une force différente, un magma – une image aussi belle que réelle. Les reliefs ici ont chacun une particularité qui flirte avec l’extraordinaire et ont en commun un charme mystérieux.
Rotorua, village soi-disant gardien de la culture maorie*, se situe au Nord-Est de l’île Nord, et s’est bâti sur une aire d’une centaine de kilomètres de geysers. Dès que l’on pénètre dans le village, on est pris au nez, attrapé à la gorge, par une puissante odeur de souffre.
De gracieuses et inquiétantes fumées blanches s’étirent depuis les cimes de la jungle environnante, large jupe qui ceint le village. Piscines de boue brûlante, une terre qui bout à proprement parlé ici, puisque c’est une sorte de magma somnolent, un feu qui sommeille et qui provoque à chaque souffle des éruptions : des geysers d’eau brûlante jaillissent alors, de longues colonnes vaporeuses et puissantes, tandis qu’à leurs pieds, les bulles de boue épaisses éclatent lentement, à ras du sol.
Chaudrons visqueux et fumants, qui n’attendent qu’une sorcière pour s’y pencher et y marmonner quelques étranges formules.
Tout est chaud, l’air, le sol, les vêtements. La pierre est blanche, brûlée, les cratères creusés dans cette roche calcinée, remplis d’eau turquoise puisque fortement minéralisée. La végétation à proximité des foyers est morte, celle à quelques mètres, luxuriante. C’est fantastique.
Plus au Sud, le lac Taupo et la réserve naturelle de Whakapapa. Le pays du Mordor, des volcans, encore, et de la toundra.
J’ai marché sur la lune.
Dans un grand désert de pierres, illimité, avec des couleurs que je ne connaissais pas. Dans un chaud-froid, entre ombre et lumière, et à perte de vue, éblouie ou aveuglée.
Et pendant toutes ces nuits, de Rotorua à Taupo, j’ai fait des rêves fiévreux, avec des animaux lents, aux couleurs criardes, de gros lézards à la peu froide et à l’air paresseux, violets, roses, fuchsia. Ils avaient de grands yeux, dissimulés dans la nuit et dans les roches désertiques. Ici, on est pénétré par le relief, on se fait sculpté par les éléments. Les forêts traversées sont dites primitives, ça fait irrémédiablement penser à cette histoire d’origine du monde, celui sans l’homme. Et c’est ce qui fait qu’on s’y sent absolument humain: tous les sens sont exacerbés, avec une pincée d’altitude pour faire tourner la tête sur elle-même. On sent toujours une présence, une immensité derrière soi lorsque l’on marche sur ce territoire lunaire. On n’y échappe pas.
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*A Rotorua, une minuscule partie du village a été transformée en mini-disneyland : un parc où l’attraction numéro un est le Maori et sa vie quotidienne. De 8h à 17h badauds et touristes en quête de folklore sont donc autorisés, moyennant 40 dollars NZ, à pénétrer dans cette partie ceinte, dite « conservée en l’état », pour observer rites et coutumes des autochtones. Des bêtes curieuses so typiques. Spectacles et chants traditionnels, guides, boutiques souvenirs, cuisine « authentique », photos avec les villageois, cela va sans dire. Un concept aussi décevant qu’avilissant.
magnifique description ,merci Caro